Se situant à la croisée entre l’histoire des voyages et l’histoire des relations diplomatiques, En voyage pour Monseigneur propose un tableau vivant des Ambassadeurs et des messagers au service des princes savoyards. Le terrain d’enquête est constitué, en gros, par les règnes successifs d’Amédée VIII et de son fils Louis Ier et permet à Eva Pibiri de suivre les pratiques quotidiennes de la diplomatie savoyarde pendant les années 1383–1465.

L’auteur exploite essentiellement la très riche série des comptes de la trésorerie générale, conservée presque sans lacunes (pour la période étudiée seule l’année 1456–1457 fait défaut) et propose une étude basée sur le dépouillement exhaustif de toutes les dépenses pour la période retenue. L’analyse minutieuse de ces dépenses permet d’ailleurs à Eva Pibiri de contourner le manque à peu près complet d’ordonnances et la pauvreté relative d’autres fonds, tels, par exemple, les comptes des Hôtels princiers ou les Protocolli dei notai (les minutes des notaires et secrétaires des comtes et ducs de Savoie).

Il faut ici souligner la capacité de l’auteur à exploiter à fond et avec beaucoup d’acuité des documents souvent répétitifs et d’aspect parfois aride. Eva Pibiri arrive ainsi à dépasser une histoire descriptive ou anecdotique en proposant une réflexion sur les pratiques de gouvernement au jour le jour. De même, par son souci de comparer constamment le cas savoyard à celui d’autres principautés et royaumes de l’Occident et de se confronter avec une historiographie nourrie, Eva Pibiri dépasse le cadre étroit d’une l’histoire érudite et locale.

En voyage pour Monseigneur s’articule en trois parties. L’auteur s’intéresse en premier lieu aux ambassadeurs et à leurs missions tout comme à l’accueil des ambassadeurs étrangers à la cour savoyarde. L’analyse détaillée des préparatifs précédant l’ambassade, des moments de négociation ainsi que du retour à la cour permet de dessiner un tableau saisissant de la diplomatie princière. Eva Pibiri montre ainsi l’importance du cérémonial et de pratiques plus informelles pour la réussite de toute négociation.

De ce point de vue, on aurait aimé avoir une analyse plus approfondie du profil social des ambassadeurs. Les pages que l’auteur leur consacre laissent le lecteur, au moins en partie, sur sa faim. Une telle démarche aurait pu compléter l’analyse des pratiques diplomatiques en intégrant, par exemple, le poids des réseaux de chaque ambassadeur dans le cadre de sa mission. Il faut cependant Reconnaître que les sources mises à profit par Eva Pibiri ne permettent pas un tel travail, qui devrait s’appuyer sur de longs dépouillements dans des fonds d’archives relativement dispersés.

Dans un deuxième temps, l’auteur se penche sur les simples messagers et chevaucheurs chargés de la remise des missives. Si ces serviteurs occupent un rang relativement modeste dans l’échelle des officiers de la cour, leur présence n’est pas moins indispensable au bon fonctionnement de la diplomatie et du gouvernement
de la principauté. Relevons que, malgré le renouveau indéniable dont bénéficie l’histoire des relations diplomatiques au Moyen Age ainsi que la réflexion, désormais importante, concernant les serviteurs princiers, les études systématiques sur ce personnel diplomatique demeurent rares. Il faut par conséquent saluer l’entreprise d’Eva Pibiri, qui contribue à renouveler et approfondir un domaine de recherche important et qui ne cesse de montrer sa complexité. Par son étude des problèmes concrets que les ambassadeurs et les messagers princiers doivent affronter quotidiennement, l’auteur se détache ainsi d’une histoire diplomatique conçue en termes de rapports entre Etats, entre princes.

La troisième partie s’intéresse en revanche aux dimensions pratiques et matérielles des voyages. L’auteur reconstruit ici non seulement de manière minutieuse les routes empruntées par les messagers princiers, mais aussi les conditions du voyage: sa durée, la vitesse des déplacements, les dangers naturels et humains, etc. L’analyse du poids des frais des déplacements (qu’Eva Pibiri accomplit en résolvant les nombreuses difficultés posées par l’exploitation quantitative des comptes du trésorier général) sur les finances ducales met en évidence, une fois de plus, l’importance des pratiques diplomatiques dans une principauté du XVe siècle. Ces frais représentent en moyenne, pour la période de 1398 à 1464, 6,3% des dépenses totales du trésorier général: un chiffre loin d’être négligeable.

Soulignons enfin que le travail est enrichi non seulement par l’édition de sources en annexe mais aussi par de très amples extraits des dépenses des trésoriers généraux cités dans les notes de bas de pages, ainsi que par de nombreux graphiques, tableaux et cartes. A ce sujet, relevons une inexactitude: dans les deux cartes concernant le duché, seules Genève et Lausanne figurent en tant que villes épiscopales du duché, alors qu’en réalité ce dernier en possède davantage. Ces quelques détails n’enlèvent pourtant rien à la valeur d’un travail qui constitue désormais un point de réflexion incontournable pour les historiens travaillant aussi bien sur le voyage ou la circulation des nouvelles que sur les pratiques de gouvernement et la diplomatie d’une principauté à la fin du Moyen Age.

Zitierweise:
Mathieu Caesar: Rezension zu: Eva Pibiri: En voyage pour Monseigneur: ambassadeurs, officiers et messagers à la cour de Savoie (XIVe–XVe siècles). Lausanne, Société d’histoire de la Suisse romande, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 2, 2012, S. 342-343